Eglise Saint Quentin de Lives
Écrit par Philippe Besure
Source miraculeuse...
Parmi les traditions et croyances populaires, certains phénomènes ont marqué la vie des habitants. Les villages dépendant de l'église paroissiale de Lives (dont le patron collateur était le seigneur de Loyers) ne faillissent pas à cette règle.
La dévotion à St.Quentin est attestée par quelques écrits, deux pierres commémoratives encore visibles dans l'église, et par la tradition populaire parlée. Ces pierres et écrits ne sont pas antérieurs au 18° siècle, mais un document relatif à la dîme de Loyers en parle au 17° déjà. Cet écrit relevait la nécessité d'entourer le cimetière d'une muraille pour empêcher les bêtes sauvages de souiller la "fontaine Sainte". Les pèlerinages engendrés à l'occasion de la recherche d'une guérison ne manquent pas d'apporter des "revenus" à la paroisse, et aussi probablement à ses habitants. Ces revenus sont bien nécessaires à la réfection de l'église qui à l'époque était en piteux état.
Actuellement, cette source a disparu. On peut supposer qu'elle se trouvait entre le choeur de l'église (d'ailleurs "partie primitive" de l'édifice), et le mur longeant la rue de la Roche à l'argent, allant vers le centre de Lives. Dans ce mur devait se trouver une grille permettant d'accéder à la source. Les offrandes devaient sans doute être déposées à l'intérieur de l'église, en dessous d'une pierre légèrement circulaire en forme d'écu (toujours visible aujourd'hui) qui épousait la forme du pilier de la nef auquel elle était probablement accrochée. Près des habitations, (en face du n°17 actuel) se trouvait jadis une pompe communale. L'eau était probablement extraite de l'écoulement du "faux-ruisseau" que constitue la Live à cet endroit, actuellement sous-terrain.
Les modifications de l'environnement, essentiellement dues à l'exploitation des carrières des Grands-Malades à Bossimé, ont marqué sans doute la structure aquifère du sol et du sous-sol. Le ruisselet est alimenté en provenance des hauteurs de Loyers, Limoy et Bossimé, par des eaux de ruissellement dont la teneur en minéraux n'avait d'égale que la preuve de l'existence dans les roches calcaires de minerai de cuivre, de plomb,de fer et d'étain, et anciennement sans doute, d'un débit plus important qu'aujourd'hui. La présence d'une source à cet endroit n'est pas surprenante.On reste sur le bas du plateau dominé par Bossimé et la Piercette. D'autres sources étaient connues tout le long de la rive droite de la Meuse en allant vers Namèche. On ne peut s'empêcher de se représenter les premiers missionnaires qui, au contact des habitants d'antan, prirent cette source comme point de départ pour la construction de l'église primitive. Un peu comme la Collégiale Nôtre-Darne à Namur en somme...
Alors,...miracle...ou action biologique due aux éléments constitutifs de l'eau et à sa nature ? (l'hydropisie se traite par les diurétiques, les purgatifs et les ponctions...). Guérison due à l'action psychologique résultant d'une croyance? Chacun trouvera sa réponse en liberté de pensée. Voici, "aperto libro", les notes relevées lors de l'analyse détaillée des RP.de Lives (entités de LOYERS, LIVES, BOSSIME, BEEZ et BRUMAGNE) prises par le soussigné:
Note 1:
En 1748 ou 1749, Demoiselle Thérèse de CIPOLET, (de Béez ?), étant jugée par les médecins de Namur hydropique d'une façon a estre abandonnée desdits médecins, fut conseillée de faire une neuvaine dans notre Eglise en l'honneur de St. Quentin notre patron. Ayant fait ladite neuvaine selon les formes et donné ce qui est d'ordinaire pour offrande en l'honnneur dudit Saint, le 9' jour elle s'est trouvée tellement soulagée et guérie qu'elle avoit sa crosette à l'église sans s'apercevoir qu'elle luy fut nécessaire pour retourner chez elle audit (Bée? ?) ou elle vit en pleine santé jusqu'à présent le 15 avril 1757 avec apparence de vivre encore plusieures années. Ce que j'atteste l'ayant administré ladite demoiselle dans son hydropisie étant pour lors vicaire déserviteur de la paroisse: Signé: M (aitre) TREFFEU, nune curé de Live.
Notons que l'abbé TREFFEU prend son pastorat après le curé Jacques BINET décédé ie 25 juin 1750 à Lives âgé de 52 ans. (Sa tombe est toujours visible dans le pavement de l'égîise). C'esi en vain que nous avons cherché l'acte de décès de Thérèse de CIPOLET. On trouve un décès CIPLET en 1707, Marie de CIPLET en 1713, et une Dominique DECIPLET en 1767. Ceci correspond à la "Table Officielle". L'analyse "aperto libro" est un peu plus...troublante. Le curé Treffeu décède à Lives le 25 janvier 1767. Support moral pour la malade ? Une demoiselle DECIPLET, grande mambour du St Sacrement décède le 7 avril de la même année. De là à l'identifier à notre malade, la marge n'est pas grande. (D'autant que le rédacteur des tables a confondu dominis avec Dominîcus qui est repris eronnément Dominique dans lesdites tables de décès. L'acte de décès ne reprend pas le prénom de la décédée. "... obiit prenobilis dominis DECIPLET magnus mamburnus...")
Note 2 :
le 12 de may 1739 un homme de la paoisse St Veronne au faubourg de Liège, est venu remercier notre St patron croiant que par ses mérites et prières il a été guérit de l'hydropsie telle que sept fois on luy à tité de son corp 54 POTS D' EAU
Notons ici le strict respect de la conviction de l'homme en question, et non celle supposée du curé. Le curé écrit bien "... croiant que par ses..." On peut supposer que la technique de la ponction était ulilisée; à titre de curiosité et en admettant que chaque pot contenait 30 cl.d'eau, i! faut admettre que l'on "tirait" sept fois 16 LITRES d'eau (soit 112 litres)
Note 3:
Et est encor venus plusieurs autres de divers endroits entre autre de la plante qu'on avoit amené en barquette et de l'eau le porte en l'église sur le bayaux {') eî quelque tems après est venu ad in personna visiter noir (...) (église...?)
(*) Bayaux: voyez Littré à Bayart, sorte de Bard, de civière, utilisé principalement dans les ports. Dans ce cas on note que ie malade est porté en l'église. Faut-il en déduire que le malade priait à l'autel dédié au Saint, ou "l'église " est-il utilisé comme terme dans un sens large ."bâtiment et alentours"...?
Note 4: (traduction latine globale)
Note que Charles Mazy, tisserand habitant à Béez, fabriqua avec dévotion pour le grand autel de notre église une bannière (*) pour toutes les recommandations les plus infimes pour lui-même et qui ont reçu ou recevront une réponse en grande partie durant sa vie et après sa mort. Acte du 24 avril 1730.
(*) le texte dit "...rnap-pas..."; nous avons choisi la bannière, mais ce pouvait être aussi une nappe destinée à l'autel. Ce choix résulte d'une part de la mise en honneur des bannières aux processions et pèlerinages mais aussi par le fait que la nappe du maître autel était une charge du gros décimateur. La bannière était un don en remerciement.
Philippe BESURE- 04/1992. (c)dépôt légal n° BD 43639
Écrit par Georges Lebé
L'intérêt, que tant les paroissiens de Loyers que ceux de Lives-Brumagne-Mosanville devraient porter et prendre à cœur vis-à-vis de l'église de Lives, est patent. La curiosité pour ce monument d'exception devrait pousser plus spécialement, de loin ou de près, ceux qui s'intéressent aux patrimoines religieux et autres de nos deux communautés, voire de la région, dont le fleuron est l'église de ce village dédiée à saint Quentin patron de la paroisse.
Cet édifice peut être considéré comme l'église mère de Loyers en fonction du passé commun. Cet édifice doit nous intéresser au premier plan et être considéré comme le symbole de l'histoire commune de nos deux communautés désormais réunies comme elles le furent jadis jusqu'en 1895. L'histoire repasse les plats et on peut dire à ce propos que la vie commune des deux paroisses ne fut interrompue que pendant 90 années bien qu'il y ait toujours eu entre Loyers et Lives des liens privilégiés, le clergé affecté aux deux entités s'entraidant généreusement. Aujourd'hui, plus que jamais peut-être, puisqu'elles sont réunies sous la houlette d'un seul pasteur, membre solidaire dans le secteur pastoral de Jambes, en termes canoniques, curé in solidum. Situation douloureuse en raison du déficit des prêtres disponibles et de la crise des vocations en Occident. « Tous responsables » disait feu Mgr Mathen à ce sujet !
Attaches favorites, disions-nous plus haut, à tel point que, même au niveau des deux administrations communales d'antan, la côte de Lives, essentiellement fréquentée par les habitants de Loyers et artère principale d'accès à notre village, était entretenue pour moitié par la commune de Loyers jusqu'en 1950 ! Pour être complet, il faut rappeler que Beez jusqu'en 1871 était paroisse de Lives quoique séparée par la Meuse. A titre anecdotique, on raconte qu'en raison des crues du fleuve rendant impossible l'accès à Lives par le passage d'eau, à l'occasion des confessions, le curé, depuis les berges de la Meuse côté Lives donnait l'absolution générale de la rive droite à ses ouailles de Beez massées en face sur la rive gauche.
Le ressort de la paroisse de Lives au 18eme siècle s'étendait à Brumagne (17 maisons), à Loyers (33 maisons), Beez (31 maisons) et Lives (11 maisons), plus petite entité mais occupant la place centrale de l'ensemble du territoire. En 1803, par décret, Erpent fut ajoutée ainsi que Bossimé au ressort (autorité) de la paroisse de Lives pour, peu de temps vraisemblablement, puisque paroisse distinctes en 1842. Ces sources patrimoniales sont puisées dans divers ouvrages et n'en sont que les éléments principaux. Itinéraire quasi obligé des Loyersois et le plus court pour se rendre en ville, tous auront remarqué les travaux de réfection de la toiture entrepris à l'église de Lives il y a quelques mois, notamment par l'édification autour de la tour d'un échafaudage métallique élevé jusqu'à la '' croix faîtière du clocher. Les travaux sont désormais terminés avec comme heureux résultat le renouvellement complet de la toiture jusqu'en ses détails quand on observe bien.
Quelle finition ! Cette toiture au reflet bleuté des ardoises naturelles comparable à l'ambre moirée des flots méditerranéens, est du plus bel effet et digne de cet édifice classé et notons en passant, que le presbytère et les murs du cimetière le sont aussi. Le toit de la chapelle de Brumagne, bien que ne portant que ce nom, a été, elle aussi, il y a une vingtaine d'années, revêtue d'ardoises naturelles. Quel contraste avec le toit de l'église de Loyers renouvelé en 1971 d'ardoises artificielles en éternit ! Quel gâchis dû à son altération avancée défigurant la beauté de l'édifice sans faire mention de la disparition de la belle croix de pierre ajourée qui surmontait le pignon de la façade d'entrée comme le sont les deux pignons des chapelles latérales. A ne plus oser regarder. Et quel enlaidissement pour l'ensemble du site classé. Heureusement que les deux flèches, celles du clocher et de la tour-escalier sont faites, elles, d'ardoises véritables. La dissemblance est frappante pour l'œil averti et observateur. Ceci est dit par parenthèses mais c'est une lacune impardonnable de ne pas avoir, à l'époque, exigé une couverture en matériaux inaltérables comme l'était la toiture antérieure. Trop tard, le mal est fait mais un lifting bienvenu est possible. Quel aspect aurait le château si, lors de sa restauration complète d'il y a une quinzaine d'années sa toiture renouvelée avait été exécutée de la sorte ?
Revenons à notre sujet, l'église de Lives. Pour cela, nous nous référons à l'article paru dans le mensuel « Confluent » de mai-juin titré « L'Eglise Saint-Quentin de Lives, un joyau méconnu enfin restauré ». En voici la teneur principale : entamée en 1988 la restauration de l'église s'apparente à un véritable chemin de croix puisqu'il a fallu attendre pas moins de 20 ans pour que la restauration de ce joyau architectural du XVIème siècle qui allie l'art gothique à la solide tradition régionale prenne enfin son envol au début du printemps de cette année. La pose symbolique d'un nouveau coq au sommet de cette église classée augure l'achèvement de la phase finale des travaux de restauration de la toiture et des maçonneries de ce petit édifice aux volumes compacts comprenant une tour trapue, trois courtes nefs sous une seule bâtière et un petit chœur à chevet plat, flanquées de sacristies de part et d'autre du chœur. Les dégradations constatées dès 1988 compromettaient fortement la survie de cet édifice particulièrement méconnu des Namurois. Déjà le conseil communal du 21 novembre 2001 approuvait le projet du renouvellement de la toiture pour un montant estimé à l'époque à 157.000 euros TVAC... Il fallut attendre le 29 mars 2006 pour que le projet soit adopté par le conseil communal... Au total le coût de l'ensemble des travaux s'élèvera à 260.000 euros TVAC dont 60% seront pris en charge par la Région wallonne. A u programme, il est prévu de procéder au nettoyage des combles, à la restauration de la charpente et à son traitement, à la pose d'un écran de sous-toiture et à la pose d'une nouvelle couverture d'ardoises NATURELLES ainsi qu'à la remise en état de la ferronnerie au sommet du clocher et à la pose d'un nouveau coq. De quoi mettre en valeur un joyau de notre patrimoine namurois. (fin de citation).
Depuis l'été les travaux sont terminés et nous pouvons dès à présent contempler la réussite parfaite de l'ouvrage entrepris.
Pour clôturer cette série de papiers sur la belle église de Lives, pour de plus amples renseignements, le lecteur pourra se référer largement à la petite plaquette, qu'à la demande de feu l'abbé Léon Bodart, dernier curé résident de la paroisse de 1973 à 1994, le père André Wankenne S. J., décédé, et érudit historien professeur aux Facultés Universitaires de Namur, avait rédigée. Celle-ci est une sorte de condensé, tant historique que descriptif de l'édifice ; nous nous en référerons en partie pour clôturer ce récit.
Un même sort, écrivait-il, a uni au cours des âges Lives, Brumagne, Loyers et Beez dans le val de la Meuse jusque la fin du XIXcme siècle. L'église et la paroisse de Lives sont dédiées à Saint-Quentin. Celui-ci, Quintinus, fait l'objet de la légende où on reconnaît difficilement la part de l'histoire. Fils de sénateur, il aurait été condamné au martyre sous l'empereur romain Maximien, par le préfet Rictiovar vers le début du IV me siècle. Un manuscrit du XIIeme siècle le représente assis et torturé par des clous ou des tiges de fer qu'on lui enfonce dans le corps. C'est la même scène plus d'une fois répétée dans l'art chrétien et on pense au supplice de Saint-Sébastien, patron de la paroisse de Loyers, milanais, percé de flèches enfoncées. La similitude de genre de martyre est frappante. On vénère les reliques du saint dans la ville qui porte son nom, dans le département de l'Aisne à égale distance de Cambrai et d'Amiens, non loin de la célèbre abbaye de Solesmes. Au moyen âge, des foules s'y rendaient en procession. On célèbre la fête de Quentin le 31 octobre. A Lives, elle donnait lieu à des prières et des réjouissances diverses, et une des deux fontaines alimentant le village portant son nom est située rue de la Roche à l'Argent. La borne, heureusement sauvegardée, se trouve actuellement bien à vue sur une propriété privée, mais le bac en pierre récolteur d'eau est resté sur place.
Détails complémentaires
L'auteur précité fait remarquer que la tour puissante, le chœur réduit et l'absence de transept se remarquent dans d'autres vieilles églises, appartenant jadis, comme celle de Lives, au doyenné de Ciney, partie lui-même du diocèse de Liège. Lives possède une église, signalée par un différend entre Namur et Liège qui ont des droits sur elle. Mais le sanctuaire ne reçoit l'apparence conservée aujourd'hui pour l'essentiel que dans la seconde moitié du XVIème siècle. Le chevet à l'est dévoile une phase antérieure. Le tabernacle de pierre, appelé aussi expositoire ou théothèque, comme à Loyers, a été transféré au Musée archéologique de Namur. Il s'orne d'un réseau avec flamme, en style gothique tertiaire. Les fenêtres ogivales des nefs et la tour montrent un dessin fort semblable. A une proche période, remontent l'église Saint-Jean-Baptiste de Namur, dont le portail nord rappelle celui de Lives, et l'église Saint Frizet (Vedrin), hélas ruinée, où on aperçoit quasi le plan et les colonnes de l'église de Lives. Le père Wankenne fait aussi remarquer que le Calvaire dressé sur la poutre qui traverse l'axe triomphal du chœur « affaiblit d'une certaine lourdeur son impression tragique ». La statue de sainte Barbe du XVème d'origine brabançonne - comme le saint Hubert de Loyers - enchante par sa grâce naïve et juvénile. Récemment, on a proposé d'après le style, une époque antérieure -1435 ? A la sacristie, il faut admirer la plus artistique des pierres ici conservées. Sous la sculpture, une inscription contient deux prières, rédigées en beaux vers latins, distiques élégiaques (vers groupés par deux exprimant une plainte douloureuse) dédiés au Christ ou à la Vierge Marie, pour implorer le salut de Jean-Baptiste De Maschanorius (+ 1578). L'autel latéral droit s'orne d'un tableau du peintre namurois de la Bouverie (1624) retraçant le martyre de Saint Quentin. L'autel de gauche s'illustre d'une statue de Vierge à l'Enfant, comme celle de Loyers, volontiers implorée. Au XVIÏeme siècle, on rénove l'architecture extérieure par la suppression des frontons dépassant les fenêtres latérales, qu'attesté une gravure ancienne. Le toit du vaisseau principal ne consiste plus que dans les deux larges plans inclinés à coyau, toujours actuels et rénové récemment. Parmi les orfèvreries qui servaient au culte divin, il faut signaler un superbe ostensoir-soleil, remarquable par sa haute taille et son envergure, très ouvragé (1773). Il se trouve actuellement à Jambes, par précaution de sécurité. Parmi les nombreux tableaux récents, il faut absolument mentionner ceux de madame D. Molina, pleins de poésie qu'elle aimait peindre.
Un petit détour par l'histoire et description du site paysager.
Souvent pour mieux situer le contexte historique, époque au cours de laquelle diverses réalisations tant scripturales, picturales et autres, qu'architecturales, rien de tel que de s'y plonger, de s'en référer et de relever certains faits comme aussi de décrire l'environnement paysager. Et surtout de se dépouiller des critères de précision et de réalisme caractéristiques de notre contemporanéité. N'oublions surtout pas que nous sommes de la génération-charnière des 20emeet 2îcmesiècles, éloignée de plus de quatre siècles !
De Beez, sur la rive gauche de la Meuse, Lives, dans les albums de Croy, révèle un décor paysager du XVIeme siècle. Ce qui frappe, ce sont surtout les extraordinaires rochers aux pieds desquels est blotti le village de Lives. Une énorme masse de rochers tombe dans la Meuse, tailladée de degrés, de sentiers vertigineux, hérissés de cheminées. A l'arrière plan, cinq sommets rougis par les failles. Lives est un pays de carrières, de « felizes » comme on les appelle en Namurois, exploitées au moyen âge et en plein essor au début du XVIIeme siècle. Vers 1600, on-en comptait sept, toutes contigiies, appartenant au seigneur du lieu. Il y avait, de plus, un certain nombre de fours à chaux (les chaufours) et l'on extrayait des minerais de fer, notamment de la « kysse » (pyrite de fer). C'était donc un village industriel à la manière de son temps. Le rivage débordait d'activités, les bateaux embarquaient vers Namur ou Liège des blocs de pierre, des « mines » (minerais) ainsi que des fagots, des planches et des troncs d'arbre, l'exploitation forestière n'étant pas à négliger sur les hauteurs jusqu'à Loyers et au-delà. On voyait des pierres posées près de l'eau, prêtes au transport fluvial.
Toutefois, Lives n'était guère peuplée (voir article précédent), mais en 1599, un détail de la composition de la population relève 12 manants, chefs de famille, en 1634 y vivent, autour du curé et du marguillier, un «tavernier», un maréchal-ferrant, 7 artisans et manœuvres, trois veuves et les leurs. On suppose qu'une partie de la main-d'œuvre était fournie par les maîtres-carriers, louée pour la saison. Ceux-ci appartenaient au métier des maçons et des tailleurs de pierre de Namur et l'on choisissait parmi eux l'un des mambours de l'ermitage Saint-Fiacre. Les dessins paysagers de Croy plantent l'église comme suit : non loin du rivage, l'église Saint-Quentin, lieu de pèlerinage très fréquenté. Elle est construite au milieu d'un enclos cimetéral auquel on accède par plusieurs marches. Le chœur en pierre d'une seule travée est couvert d'une bâtière d'ardoise. La nef de quatre travées, également sous bâtière, est ornée de trois lucarnes à pignon et d'un cordon qui court au-dessus des fenêtres (NDLR). Ces pignons ont été abattus pour couvrir le tout d'une seule toiture. Ces détails architecturaux lui donnaient étrangement l'air d'une demeure seigneuriale. La tour s'ouvre à l'ouest par un portail roman, est éclairée à l'étage des cloches par deux ouïes au nord et une baie au-dessus du portail. Elle soutient un toit en bâtière posé sur les murs nord et sud. Un chaînage d'angle est bien visible. L'église était le siège d'une seule paroisse s'étendant sur Brumagne, Loyers et Beez. En 1563, l'évêque de Namur en avait autorisé l'agrandissement ; dix ans plus tard, celle-ci était «tombée néanmoins en décadence et ruines». En 1595, les paroissiens se préoccupaient à nouveau de sa réfection, notamment de la nef pour laquelle ils s'endettaient. On y travaillait encore au début du XVIIeme siècle. En 1601, elle servit de retranchement au seigneur de Loyers, en guerre contre son curé Balthazar Bastien, soutenu par le seigneur de Brumagne, pour une question d'heure de messe. Le premier fit occuper la tour par trois hommes de mains « avec harquebuses et armes ». Cet épisode héroïco-comique ne prit fin qu'avec l'intervention de l'évêque de Namur en personne. Pourquoi l'intervention du seigneur de Loyers dans ce conflit et non de celui de Brumagne, du moins directement ? Parce que c'est ïe seigneur de Loyers qui était collateur (celui qui accorde un bénéfice ecclésiastique) et aussi patron de l'église de Lives. Cela s'explique peut-être par la plus grande importance de Loyers par sa superficie et par sa population ( ?). Ce patronage était concrétisé par un vitrail, aujourd'hui disparu - fenêtre de la première travée de la nef près de l'autel de saint Quentin - et représentant îe seigneur de Loyers et son épouse.
Situation politique de Lives et Brumagne.
Sa dépendance paraît assez confuse au moyen âge. Comme Jambes, leur voisine, les deux entités constituent une terre liégeoise aux portes de la ville de Namur. Le comte de Namur y partage donc le pouvoir avec le prince-évêque de Liège. En Î289, le comte de Namur y possède la taille, les droits seigneuriaux et la justice. Mais dans la carte qui reprend la situation du comté, Lives est indiquée comme une enclave liégeoise. Depuis 1380, on possède en effet des reliefs de la terre de Brumagne à la Cour féodale de Liège, mais c'est seulement à partir de 1468 que ceux-ci font mention des droits seigneuriaux hautains. Cependant, en 1500, Philippe-le-Beau, en tant que comte de Namur, autorise le maïeur de Namur, Thierry Bouman, qui est aussi son conseiller, à exercer la haute justice dans la seigneurie de Brumagne. Ce dernier entre en possession de la seigneurie hautaine en 1501 qui consiste alors en un petit château et un village de sept à huit maisons. Il semblerait donc, que jusqu'à là, Lives et Brumagne aient été des seigneuries foncières dépendant de Liège, mais où le comte de Namur aurait conservé la seigneurie hautaine, puisque c'est lui qui l'aliène au XVeme siècle.
En 1520, la seigneurie entre dans le patrimoine des Salmier jusqu'en 1684. Elle passe alors par alliance aux Marbais. Elle fut réunie à celle de Lives en 1772 par Nicolas-Ignace de Woelmont dont les descendants construisirent vers la fin du XIXeme siècle, la chapelle de Brumagne ainsi que l'école primaire et maternelle avec habitation pour les sœurs de la Croix (congrégation française) chargées de l'enseignement. La construction de ces écoles remonte au temps de la « guerre scolaire » vers 1880. les sœurs quittèrent Brumagne après la Seconde Guerre mondiale. Leur rayonnement monta jusqu'à Loyers.
En 1920, le château de Brumagne devint propriété des Carton de Wiart dont le comte Edmond fut grand maréchal de la Cour sous le règne du roi Baudouin, et son épouse, dame d'honneur de la reine Elizabeth. Ce château à l'abandon de nos jours suite à un incendie n'est plus occupé et il est situé en bord de Meuse face au rocher tragique de Marche-les-Dames.
On ne pourrait quitter le site classé de l'église Saint-Quentin sans mentionner l'imposant presbytère y compris. La cure est une grande demeure en moellons calcaires de style classique construite vers 1775 à deux niveaux sur caves, disposant de grandes fenêtres vers l'ouest et la Meuse. L'entrée du côté de l'église est de style néo-classique et date de 1860. A l'intérieur, l'escalier est d'origine et on observe la présence de superbes stucs à la manière des frères Moretti, auteurs-artisans des décors de la cathédrale Saint-Aubain.
Historique de la paroisse.
Au XIIIeme siècle, l'église relève du chapitre Notre-Dame de Namur; en 1244, un conflit oppose le chapitre à Clarembaut, chanoine de Saint-Paul à Liège, curé de Lives à propos de dîmes. Au début du XVÏIIeme siècle, le ressort de la paroisse de Lives s'étend à Brumagne, Loyers, Beez et Lives. Fermée au culte en 1802, Lives devint succursale de Wierde en 1803, puis fut rétablie comme église paroissiale en 1808 avec comme ressort les villages de Beez, Loyers et Erpent, ainsi que le hameau de Bossimé, dépendance de Loyers. Erpent est ensuite rattachée à Andoy pour redevenir paroisse distincte en 1842. La suite est connue, Loyers est établie paroisse autonome en 1895 et Beez en 1871. En 1561, la paroisse de Lives est rattachée au nouveau diocèse de Namur, séparé de Liège, et à l'archiprêtré de Namur. Ce billet est le dernier article sur le sujet et nous croyons avoir brossé largement, par trois textes successifs, la description architecturale de ce joyau qu'est l'église, celle de l'environnement, le biotope de l'époque, le contexte historique général et l'histoire paroissiale liée à la vie des deux paroisses autonomes désormais, mais de nouveau placées sou/la houlette d'un seul et même pasteur.
P.S. : Lives devint Lives-sur-Meuse par arrêté royal du 15 avril 1949.
Autres références que celles citées dans le texte :
- Dictionnaire d'histoire et de géographie administrative des Communes de Belgique, éditions de la Renaissance du Livre ;
- Histoire et Patrimoine des Communes de Belgique, éditions Dexia-Racine