Écrit par André Degrune
Rapport de M. L. Pochet Curé.
... Dès les premiers jours d'août 1914, Loyers fut bondé de soldats belges, chasseurs à pied et fantassins. Des escouades de civils venus de tous les villages voisins se mirent à l'œuvre, sous le commandement militaire, pour l'organisation des travaux de défense. Le village se trouva entouré, de trois côtés, de tranchées de fils de fer et de mines. Pour des raisons stratégiques, deux maisons du hameau de Limois (Loyers), qui est situé entre les deux forts, furent en partie détruites : la ferme d'Edmond Gillet(1) et la grange de M. Lemercinier. Écoles, granges, maisons, tout fut rempli de soldats, à l'exception de l'église...
Le 9 août, pendant la messe basse, un aéroplane allemand survola l'église; celle-ci était remplie de soldats et se vida à l'instant. C'est du seuil de la maison de Dieu que se fit le premier usage des armes à Loyers. A l'intérieur, les fidèles crurent d'abord à une attaque : c'était touchant de les voir avancer aux pieds du tabernacle et entourer leur pasteur, qui tâchait de les rassurer...
Du 20 au 24 août, des canons allemands placés, croit-on, de l'autre côté de la Meuse, lancèrent, par-dessus Loyers, de lourds obus sur le fort d'Andoy. L'un de ces projectiles tomba sans éclater près du château, d'autres dans les campagnes.
Du village, on voyait aussi les obus éclater sur le fort de Maizeret. Des avions survolaient les tranchées et laissaient descendre, au-dessus d'elles, des signaux lumineux, pour en indiquer l'endroit : aussitôt le tir était réglé et une pluie de shrapnels inondait le terrain.
Vendredi, 21 août, vers le soir, on annonça que Maizeret était tombé. Bientôt on vit les braves artilleurs traverser le village en bon ordre, pour passer la nuit à la ferme du château.
Dimanche, 23, un bombardement intense se poursuivit pendant toute la matinée. Le château était visé; or, l'église est tout proche. Il fut impossible de célébrer la sainte messe. L'exode commença vers midi- A 2 heures, ce fut une débandade générale. On cria : les Allemands sont là ! Soldats belges du bataillon congolais avec leur aumônier, habitants de Loyers, de Maizeret et de Mozet ayant passé la nuit à Loyers, tous entremêlés, sous un bombardement énervant, s'enfuirent vers Namur, les uns par Bossimé, hameau de Loyers, où les obus tuèrent plusieurs soldats, les autres par Lives. On se traînait le long des maisons, en se cachant. Un paysan de Loyers, réquisitionné par les Belges, avait conduit un chariot de cartouches. Quand on annonça l'entrée prochaine de l'ennemi, il eut le courage d'y mettre lui-même le feu; or le chariot était au milieu du village, il en résulta de nombreuses explosions, qui donnèrent l'illusion d'une bataille.(2) Dans la fuite, un soldat congolais, croyant apercevoir des Français qui tiraient sur eux de l'autre côté de la Meuse, déploya un drapeau belge et l'agita en criant : « Amis, amis ! » La canonnade reprit de plus belle : il fut tué sur la route. Soldats et civils s'étant enfuis par Bossimé et Lives se retrouvèrent sur la route de Liège; ils croyaient pouvoir en toute sécurité gagner Namur, mais ils ignoraient la présence des Allemands aux Moulins de Béez, sur l'autre rive, et voilà qu'ils furent reçus par une fusillade nourrie et ininterrompue : des soldats furent tués, d'autres blessés, d'autres remontèrent en grande hâte vers Erpent. Comment la foule mêlée aux soldats a-t-elle échappé? On se le demande encore. Ce furent des cris, des pleurs, une panique inimaginable. L'aumônier donnait sa croix à baiser aux enfants apeurés. M. le curé Dumont, de Loyers, abrité avec sa vieille mère et une partie de ses paroissiens derrière un mur, versait lui-même des larmes. N'était-ce pas la mort certaine pour toutes ses ouailles? Que faire au sein de cette tuerie? Avancer vers Namur? Les Allemands y étaient. Un vieillard conseilla de rebrousser chemin. Bravant les dangers, le pasteur et une centaine de ses paroissiens vinrent passer la nuit dans une grotte du bois de l'Ermitage. On n'osait ouvrir la bouche, ni faire le moindre bruit, car les Allemands étaient sur la route, à quelques mètres; ils avaient passé le pont de bois que, peu de temps auparavant, les Belges avaient tâché de brûler. Ils se rencontraient avec d'autres Allemands venant de Namur et capturaient tous les soldats belges, à la grande surprise de ceux-ci, qui faisaient vraiment peine à voir : un cri d'angoisse s'échappait de leur poitrine, puis ils penchaient la tête et laissaient retomber les bras, abattus, découragés. On remarqua un officier allemand qui lançait des coups de pied à un blessé belge étendu sur la route.
A quelque cent mètres de la grotte dont nous venons de parler, il se trouve une autre caverne, profonde et obscure, au fond de laquelle se dresse une croix de fer, sur un agenouilloir en pierre, souvenir des ermites d'autrefois; là, se réfugièrent le 23 août, d'autres habitants de Loyers. Ils n'y passèrent pas la nuit. A la soirée, l'un d'eux s'approchant de la lisière du bois, crut voir, sur le pont, des Allemands faits prisonniers par des Belges et des Français — c'était bien le contraire—. Cela suffit à faire renaître la confiance et ils reprirent tous le chemin du village. A leur arrivée, que virent-ils? Des Allemands se promenant dans les rues désertes. Mêlés aux civils, quelques soldats belges déguisés cherchaient à échapper à la captivité en attendant de rejoindre leurs troupes. Quelques jours plus tard, les Allemands se firent conduire, par le garde-champêtre de Lives, dans ces grottes qu'ils fouillèrent minutieusement. Lundi matin, 24 août, M. le curé Dumont et ses paroissiens rentrèrent au village. Un peloton de cavalerie y pénétra à 9 heures. Le commandant arrêta Joseph Polet et le fit marcher devant lui, l'obligeant à dire le nom de toutes les maisons.
Quand il eut désigné le presbytère, il lui dit : « Allez chercher le dernier journal, ou bien je mets le feu à cette maison ! » Il rapporta un journal quelconque, sur lequel l'officier jeta un coup d'oeil, puis il s'éloigna. Ils mirent, en effet, le feu au presbytère, mais la tentative ne réussit pas; on découvrit un commencement d'incendie sous un lit. De gros canons furent postés au village et tirèrent continuellement sur le fort de Dave et ailleurs, du lundi matin au mardi vers deux heures. Dans la journée, des soldats, revolver au poing, obligèrent le curé à les précéder à la cave, pour prendre du vin. Le soir, il fut contraint à souper avec l'Etat-Major.
Des soldats s'amusèrent à tirer dans les bois, tandis qu'au village, les autres en accusaient les civils et les menaçaient de la mort. Des habitants s'étaient rendus dans les tranchées et en rapportaient les objets abandonnés par les nôtres; un petit garçon, s'étant coiffé un instant d'un shako de soldat belge, reçut une balle à l'épaule. Il fut soigné d'abord par le curé, puis conduit à l'ambulance de Jambes. Huit jours après l'invasion, des civils arborèrent le drapeau blanc et purent enfin, sous la conduite d'Allemands, s'approcher des tranchées voisines du fort d'Andoy, où gisaient des cadavres de soldats belges. Ils furent inhumés au coin du bois où ils étaient tombés. Grâce au bourgmestre de Loyers, M. le comte Jean de Beauffort, qui connaissait la langue allemande, la paroisse fut préservée de plus grands malheurs; la plupart des maisons furent seulement pillées, en l'absence des habitants. Dans une maison voisine de l'école, le crucifix fut retrouvé haché en trois morceaux, dans le bac à charbon. L'école fut dépouillée de la bibliothèque, des cartes géographiques et de tout le matériel didactique.
Les premiers Allemands entrèrent à Erpent, le 24 août, à 10 heures du matin. A 6 heures du soir, ils procédèrent à une visite générale des maisons.. (1) Ferme de Bialy -
(2) Ce chariot a sauté près de l'église sans faire de dégât. Lors des terrassements pour la construction de l'immeuble (Marchand années 1970 ?) on a retrouvé des munitions intacts. (Article Journal Vers l'Avenir à vérifier.) Texte tiré de : Documents pour servir à l'histoire de l'invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxembourg.
Publiés par le Chanoine Jean SCHMITZ et Dom Norbert NIEUWLAND secrétaire de l'évêché de Namur de l'abbaye de Maredsous.
Deuxième partie le siège de Namur.